Liaison dangereuse
Au mois de septembre dernier, je m’étais ouverte à vous. Souvenez-vous, je vous avais confié que ça tanguait un peu dans mon couple avec Israël après cinq années d’un amour sincère et respectueux. Pendant mes trente cinq années de mariage avec ma France, si vous m’aviez dit qu’un jour, je serais en couple avec Israël, j’aurais hurlé de rire.
Sur le papier, elle et moi, nous avions peu en commun. Je ne l’aurais jamais reperée sur Tinder, pas même adressé la parole à un dîner.
Mais le sort avait scellé notre destin. J’avais fait sa connaissance un été sans ma France. Ce qui devait rester une amourette de vacances s’est transformé en une vraie histoire. Elle était solaire, enivrante et gaie. Elle ne se formalisait pour rien, tout glissait sur elle, la vie à ses côtés était agréable et sans nuage. Nous avions besoin de peu de mots elle et moi pour nous comprendre, car cela venait des tripes. Et après nos effusions, le retour vers ma France, cette intellectuelle de première classe, élégante et subtile était assez glacial. Avec le temps, j’ai conclu que j’avais besoin des deux et que cette ambiguïté me convenait. Comme si elles exprimaient chacune à leur manière les deux versants de ma personnalité, de ma dualité.
C’est vrai que quand j’avais présenté mon Israël à mes amis parisiens, ils n’avaient pas compris. Il y avait un fossé culturel entre elle et eux. Elle ne riait jamais à nos blagues, elle paraissait simplette mais elle avait un savoir-faire inégalé qui les épatait tous. Elle avait le don de célébrer la vie avec peu de choses. Elle savait être en harmonie profonde avec la nature et surtout, ce qui m’avait fait succomber, c’est qu’elle savait déceler dans le regard d’un inconnu ce qu’il avait de plus humain, de plus universel. Avec mon Israël, j’ai mis mes talons et mes tailleurs de côté. J’ai marché des heures dans des forêts à ses côtés, j’ai appris le nom des fleurs, j’ai fredonné ses mélodies pour endormir mes enfants de première noce. Près d’elle, lors de ces marches, je sentais que je revenais à moi. J’acceptais de ne pas savoir de quoi chaque nouveau jour sera fait en sentant la brise fraiche du matin sur mon visage. Israël m’a murmurée, pendant cinq ans, « danse ta vie » tandis que ma France me suggérait « pense ta vie ». Alors, j’ai dansé plus que je n’ai pensé.
J’ai dansé sur ses musiques tribales, au son de la derbouka, j’ai appris à écouter ce que mon ventre me disait, et j’ai perdu le contrôle. C’était enivrant, mon Israël me regardait amoureusement sans jamais me juger. Mes mouvements n’étaient jamais parfaits mais ce qui comptait pour mon Israël, c’est que je sois vraie, et que j’apprenne à être moi-même en toute circonstance.
J’étais souvent ivre dans ces soirées-là. Et dans cette ivresse, j’oubliais tout, jusqu’à tout raconter de ces instants de grâce à ma France. Elle me semblait si loin de tout ça, elle avait un mal fou à visualiser. Je crois que ça lui donnait des complexes et que moi, je me vengeais de notre amour raté. Elle tentait de me dire qu’elle aussi savait danser. Et entre les mots, je comprenais qu’elle regrettait qu’on n’ait pas plus dansé ensemble. Et je lui disais pour l’apaiser que tout était bien comme ça.
Mais je me devais de respecter le mouvement qui s’opérait en moi.
Je lui suggérais même de refaire sa vie, de tourner notre page, de partir batifoler avec une autre, moins instable que moi. Parfois, ma France continuait de voir mes amis de l’époque sans moi à Paris. Ils se donnaient rendez-vous dans notre café de l’époque, le “Zimmer” place du Châtelet et ils parlaient de moi, de mon nouvel amant, de mes enfants qui avaient appris à grandir avec mon Israël. Et puis, ils disaient qu’ils admiraient mon courage et ma détermination. Que j’étais valeureuse car je ne renonçais jamais à mes rêves et que c’était louable de vouloir vivre plusieurs vies en une seule. Et que je les inspirais.
Je les inspirais car j’étais une femme libre.
Aujourd’hui, j’écris car j’ai honte.
J’écris car je suis trop fière pour appeler ma France.
J’écris, à défaut de pouvoir regagner ma France à la hâte, à défaut de pouvoir débarquer chez elle, en pleine nuit, pour boire un thé Mariage Frères à ses côtés et pleurer un bon coup.
J’écris car c’est ce qu’il me reste pour exercer ma liberté, celle qui m’est volée en ce moment.
Plus j’écris, et plus je me refais le film. Je suis tombée amoureuse de mon Israel avec en creux cette idée qu’elle m’aiderait à devenir plus libre. Tandis qu’en ce moment, elle me nie et fait de ce besoin de liberté une lubie.
Un matin, elle a décidé unilateralement que l’heure était grave, tres grave même. Je la voyais marcher les cent pas, répeter en boucle les mêmes faits, compter, recompter, s’agiter dans tous les sens. C’était presque comme si, un matin, je m’étais réveiller à côté d’une nouvelle personne. Elle était comme … changée. Quelque chose d’imperceptible, mais de bien réel quand on se connait intimement comme nous nous connaissons toutes les deux.
Mon Israel m’a dit qu’il fallait avoir peur. Si elle avait peur, alors je devais vibrer à l’unisson de sa peur. Son traumatisme devait devenir mon traumatisme. Nous n’étions plus qu’un seul corps, un seul coeur. Mais je me suis opposée, j’ai refusé d’avoir peur. Pendant cinq années de parfait amour, elle m’avait permis de grandir, elle m’avait appris à oser, à ne plus avoir peur, à repousser mes limites. Et du jour au lendemain, elle voulait que je devienne un cafard. Que j’ai peur. De tout, de moi même, de mon prochain, de mon enfant même.
Et puis, comme elle a vu que je ne cèdais pas, comme elle m’a surprise en train de parler à ma France du fond d’un placard, elle m’a retiré mon passeport vert. Elle l’a enfermé dans un coffre dont je n’ai pas la clé. Elle me demande des conditions pour le récupérer. Mon Israël dit qu’elle fait tout ça pour mon bien, elle dit qu’elle me protège. Elle ne cesse de répéter que je vois le mal partout. Elle dit que je suis dangereuse pour moi-même. Pire, elle dit que je peux être un danger pour les autres.
Je dois capituler.
Oui, elle a mis au point un système assez pervers. Dans mon dos, elle est descendue dans notre quartier et a exigé de tous mes commerçants préférés, de mon café fétiche, de mon cours de danse attitré qu’ils en fassent de même et qu’ils exigent ce même passeport vert.
Mon Israel m’avait appris à danser la vie mais à présent il fallait que je danse selon ce qu’elle avait décidé pour moi. Tu cèdes ou tu danses. Tu cèdes ou je ne t’aime plus.
Alors, je lui ai dit que ce qu’elle me demandait n’était pas de l’amour. Car l’amour est inconditionnel, il ne se monaye pas.
Franchement, j’aurais pu survivre à ne plus danser. Le divorce avec ma France n’avait pas été une partie de plaisir et je suis forte de nature.
Et puis mes amis du “Zimmer” se sont cotisés pour m’offrir un gros stock de cahiers et de stylos car ils sentaient que je faiblissais. Ils se sont dit que faute de pouvoir danser, il fallait que les mots dansent pour moi.
Mais le coup de grâce a été quand j’ai compris que je ne pourrai plus revoir ma France, faute de passeport vert. Qu’il y avait un mur de Berlin entre nous. Que ce serait loin des yeux pour un bon bout de temps.
Aujourd’hui, je suis dans l’expectative. Je me sens persécutée, les amis de notre couple ne comprennent pas mon silence. Ils disent que je me retire toute seule du monde. Je développe peut-être une petite paranoïa, c’est vrai. Mais surtout, je ne dors plus beaucoup. J’ai peur pour mes enfants, j’ai tellement peur que mon Israël en demande la garde et qu’elle monte un dossier contre moi. Que certains amis témoignent et disent que je suis trop instable pour m’occuper d’eux. Le pire pour moi, c’est que mon Israel ait reussi à injecter de la peur dans ma vie, moi qui n’avais plus peur de rien, sauf de la peur elle même.
Plusieurs fois, j’ai essayé de parler avec mon Israël et de raviver notre flamme. Je reste toujours sensible à son charme, c’est indéniable. Mais je vois qu’elle traverse une crise de toute puissance. Cela remonte peut-être à son enfance et à ses traumatismes non résolus. Je lui rappelle sans cesse que cet excès d’autoritarisme me donnera encore plus envie de fuir. Mais il n’y a rien à faire. Elle refuse le dialogue, elle dit que je dois plier et accepter les règles de la vie commune. Qu’avec ma France, j’étais une individualiste égocentrique mais qu’avec elle, je suis obligée de la jouer collectif et que c’est ainsi.
Elle m’a même menacée de me placer sous protection avec un bracelet électronique pour être sûre que je ne cherche pas à fuir.
Tout cela s’est passé si vite. En un mois à peine.
Mon Israël dit qu’elle a le droit de faire tout cela et qu’elle a un motif impérieux pour me maintenir à domicile. Mais elle ne sait pas que ma France et mes amis du “Zimmer” sont en train de préparer un plan diabolique, et que mon évasion sera digne des films de gangsters les plus memorables du cinéma Americain. Alors, une fois évadée, je promets d’écrire la suite de l’histoire, cela ne sera plus un roman à l’eau de rose sur un amour trahi. Entre le polar et la science fiction, cette histoire inventera une nouvelle catégorie litteraire, et je la dédicacerai aux amis au “Zimmer”. Et on boira du champagne avec des bulles de joie pour fêter ma liberté retrouvée.